Je suis née un 29 février, de l'année 1760. Un jour qui n'arrive qu'une fois tous les quatre ans : est-ce pour cela que ma vie a duré quatre fois plus longtemps ? Enfin ma vie… Ma mort, surtout.
Ma naissance s'est faite grâce à un caillou sur la route, ma mère racontait toujours cette anecdote le soir, autour du feu, quand les femmes se réunissaient et parlaient des sujets qui les concernaient, la vie, la mort.
Venus d'un bout de l'Europe, nous nous étions arrêtées en arrivant à la fin de la terre, mais ce n'était pas encore la fin de notre voyage. Aurait-il une fin, un jour ? Dès que nous étions déterminées à poser nos bagages, les bonnes gens trouvaient à nous accuser de voler leurs poules ou d'apporter le mauvais oeil. Le renard n'avait pourtant pas besoin de nous, et autant d'esprits médisants ne pouvait qu'apporter la malchance.
Nous avions dû partir précipitamment dans nos roulottes, encore une fois, chassées par la maréchaussée qui s'était prise d'excès de zèle alors que nous étions installé près d'Audierne, afin de vendre au marché nos ouvrages en osier et la bonne-aventure. Notre famille avait ce don depuis la mère de ma grand-mère, et bien avant encore. Et ce jour là, alors que nous devions refaire nos bagages et laisser de côté nos envies d'installation, ma mère se trouvait dans les douleurs de l'accouchement. Le travail avait commencé depuis de nombreuses heures mais j'étais mal engagée, je n'arrivais pas à passer les portes de la vie. C'est là qu'une roue a heurté un caillou, dans un cahot si fort que je me suis remise droite, et ait ouvert les yeux sur le monde dans la foulée.
Notre vie était ainsi, sur les routes, nous nous occupions de nous-mêmes, et nos roulottes nous suffisaient, à défaut d'un toit sur la tête et de murs qui résisteraient aux tempêtes. Je n'ai jamais su si on nous regardait d'un air méfiant parce que nous voyagions, ou parce qu'il n'y avait pas d'hommes avec nous. Mon père avait eu un accident alors qu'il travaillait pour un seigneur, et bien sûr nous n'avions eu pour dédommagement que les chiens, n'emportant même pas la paye qui lui était dûe. Mes deux frères ont eu la tuberculoses enfants, et mon oncle est parti s'engager dans la garde royal. M'est avis qu'il ne voulait pas s'embêter avec cinq femmes autour de lui, ma mère, ma tante et mes deux soeurs.
Dans chaque ville où nous nous arrêtions, nous vendions de petits objets que nous avions glanés, entrions dans les tavernes pour proposer la bonne aventure contre ce qu'on voulait bien nous donner, mendions un peu de quoi compléter nos repas.
Un jour, dans la grande ville de Vannes, alors que j'accompagnais ma mère dans l'auberge des Trois Hermines, elle repéra de suite un grand seigneur et lui proposa de lire les lignes de sa main. il était richement vêtu, mais un air triste et rêveur. Quand il me vit, il haussa un sourcil et se montra intéressé. Moi, à dix ans, je savais déjà que je devais sourire aux messieurs, et il fut tellement impressionné par les prédictions données, qu'il nous proposa de l'accompagner à une fête à laquelle il se rendait. Il n'avait pas été difficile de deviner que cet homme était en plein chagrin amoureux, et cette fête était le mariage de sa cousine, avec qui des serments avaient été échangés jadis. Il espérait que notre compagnie le divertirait, car il semblait que j'avais quelque ressemblance avec cette cousine.
Il était toujours mieux d'être en bon terme avec la noblesse, cela permet de s'extraire de la fange des faubourgs, et on peut toujours grapiller de quoi bien manger. Nous l'avons donc suivi jusqu'au château de Beauregard, où les tentes étaient en cours de montage. Nous avons pu nous installer un peu à l'écart, et commencé à faire le tour du propriétaire.
vivre isolées dans un marais, les gens viennent voir
une vie nomade ? tromper les gens pour répondre aux rejets de la communauté
pendant sa vie, voir la popularité des bohémiens auprès des populations aristos voyageuses hors cadre (les bobos du XIXe siècle) y être invité
rare en bretagne ? non, anglais ok
carmen de mérimée en 1845
https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2010-1-page-12.htm
https://journals.openedition.org/abpo/546
Je tentais d'aller en cette année 1802 au bagne de Brest ou mon frère était enfermé. Il avait été capturé à Quimper et accusé de vol alors qu'il accompagnait De Barre un baron chouan. Je voyageais avec des amies, nous nous protégions les une les autres, et comme toutes nos familles n'étions plus les bienvenues depuis quelques années. Nous évitions le plus possible les tracas de cette nouvelle république mais nous étions catalogué royaliste de cœur et devions filer sans cesse entre les mailles des gendarmes.
Je me souviens de l'accident qui m'a couté la vie, le vent hurlait, la tempête dansait tel un corps ivre gigantesque, frappant les chênes, giflant les pierres des chemins, griffant nos visages. On entendait les coups d'un pan de bois, un lourd volet, battre la chamade, marteler la ruine toute proche comme pour s'en arracher et s'envoler libre dans la tourmente, ailes noires d'un oiseau démoniaque. Le vacarme m'assourdissait. Puis en un instant ce fût le silence.
Je me relevais au milieu de débris de notre charrette, l'atmosphère était grises et comme empesée. Mes mouvements semblait ralentis mais je ne sentais plus le frottement de mon châle, plus le poids de mes perles de topaze. Les sons avaient été vidés des petits échos des choses et de leur vie. Mon regard, alors que je montais sur le talus bordant le chemin, ne trouvait plus l'horizon, les alentours disparaissaient comme fondus dans le néant. Et j'étais seule.
J'ai erré un temps avant de retrouver âme qui vives mais tout avait changé, les gens ne me considéraient plus. J'étais devenue fantôme. Avec le temps j'ai pu distinguer d'autres pauvres être dans mon état et même communiquer avec eux. J'ai découvert un monde de l'entre-monde, une sorte d'éther avec ses règles et ses habitants. J'ai pu apprendre aussi les choses cachées aux vivants comme voir les fils ténus qui tissent les destins. J'ai vu Ankou de sa faux les couper pour les renouer à sa carriole et même en laisser filer quelques un, peut être comme ceux de mon existence passée.
Aujourd'hui, j'entends l'appel des portes, comme un râle apaisant me faisant entendre une issue…